A plusieurs reprises, Jill se demande si elle ne ferait pas mieux de rentrer chez elle. Il y a tous les invités, qui tirent une tête de trente kilomètres, qui ont tous l'air de se méfier les uns des autres ; puis il y a M. Maxwell, qui leur montre sa demeure, les conduit dans une sorte de dortoir, et leur apprend que les lits sont l'attraction de la soirée. Jill ne peut pas s'empêcher de se demander dans quelle histoire absurde elle s'est fourrée. Si elle voulait dormir, elle serait restée chez elle avec les petits. Elle est plutôt réticente à s'étendre sur un lit, mais comme d'autres le font avant elle, elle les imite, se sentant plus nerveuse qu'ensommeillée. Pourtant, l'épuisement la submerge vite, comme si toute la fatigue accumulée au cours de ces derniers mois lui tombait dessus, brutalement, et elle s'endort sans même s'en rendre compte.

Elle sursaute quand elle rêve, et que le décor de ce rêve est une salle de sport. Jill a toujours eu horreur de la gymnastique, qui lui remet invariablement en tête des souvenirs d'école, où elle était incapable de faire une culbute arrière ou le poirier. Elle s'attend presque à voir surgir son professeur du lycée qui la terrorisait à l'époque (Jill devait avoir quinze ans). Mais il n'y a personne, excepté Jeremiah et une femme aux courts cheveux sombres, tous les deux faisant partie des invités. Jill se remémore le prénom de la femme, Jessamine, elle se souvient aussi de sa présentation pompeuse (elle est amirale ou générale de l'armée, quelque chose comme ça).

Il y a un tapis bleu de gymnastique aux pieds de Jill, elle ne sait pas pourquoi mais elle a soudain envie d'essayer de faire la roue. Avec une robe, ce n'est pas l'idéal ; pourtant contre toute attente elle y parvient, au premier essai, elle qui n'a jamais été très agile et qui n'a jamais su faire la roue jusqu'à présent. « Eh bien » dit-elle aux deux autres, d'une voix posée et claire qui ne lui est pas coutumière, « je ne pensais pas que j'y arriverais un jour. » Elle se sent bien, nullement gênée face à Jessamine et Jeremiah. Pourquoi donc ?

Il y a une fenêtre d'où filtre une lumière dorée, et une tête blanche de licorne y est visible, fixant les humains avec des yeux rouges où brille une sorte de haine. En la découvrant, Jill ne parvient pas à retenir ce cri : « Mon Dieu ! » s'exclame-t-elle, « qu'est-ce que c'est que cette horreur ? » Cela lui rappelle une peluche de foire, monstrueuse et aux teintes criardes.